Dis-moi comment tu voyages…



Je te dirai comment tu écris.

Comment faut-il écrire une histoire ? Quel auteur peut se vanter de n’avoir pas eu à répondre à cette question ? Ne serait-ce qu’à lui-même. 

Faut-il avoir un plan complet de l’intrigue avant même de mettre cette première page blanche sur le rouleau de votre vieille Remington ? Faut-il démarrer par la fin et écrire à rebours ? Devez-vous faire des fiches de vos personnages afin de ne pas les oublier en route ? Faut-il errer au hasard en vous confiant à la Muse et ainsi vous surprendre vous-même à chaque nouveau rebondissement ?

C’est la question que je me posais alors que j’amenais Gaston, mon cochon, à la Foire Annuelle des Porcins dont, je crois, je vous ai parlé l’an dernier. Ou peut-être était-ce le printemps pompant sa sève dans ma vieille caboche. Toujours est-il que la question me taraudait pendant que je sirotais une petite prune à l’ombre de la buvette. 

Eh, bien, accrochez-vous à vos pelotes, je crois bien que j’ai finalement résolu cette énigme ! 

Apparemment, il devrait y avoir autant de réponses à cette question qu’il y a d’écrivains, mais à écouter mes consœurs du club de tricot, j’ai réussi à cerner un point crucial dans la psychologie de l’auteur qui me permet d’affirmer haut et fort qu’il n’y a pas plus de façon d’écrire qu’il n’y a de façons de partir en voyage ! Qui plus est, si un auteur veut découvrir pour lui-même comment le mieux aborder son roman, il n’a qu’à analyser la façon dont il passe ses vacances (pour certains, c’est peut-être un lointain souvenir mais vous avez bien dû prendre quelques vacances avant de vous lancer dans cette périlleuse aventure).

Je vous vois hausser des sourcils épais, alors permettez à la vieille dame que je suis d’élaborer. 

Voici donc les trois types de vacanciers/auteurs que vous serez à même d’émuler :


1. Les casaniers

Ceux-là ne recherchent qu’une chose, la détente. Pour ce faire, ils retourneront chaque année au même endroit exactement. Suffisamment différent de leur environnement habituel pour opérer un dépaysement, mais sans aucune mauvaise surprise à leur réserver. Les bagages sont faits en quelques minutes, toujours les mêmes vêtements et objets utilitaires qu’on ressort une fois l’an du grenier ou du garage pour cette occasion. Slip de bain, palmes, boules de pétanque, parasol, crème solaire, etc. Pour d’autres ce sera les skis ou l’équipement de randonnée. Leur idée des vacances consiste à aller du point A où ils sont au point B où ils passeront le maximum de temps et retour au point A. Net, propre et précis. L’organisation est minimale, vous partez avec à peu près tout ce dont vous avez besoin dans votre véhicule, vous arrivez, vous déballez, vous jouez avec les objets que vous avez amenés et, quand le temps est venu, vous remballez et faites le chemin inverse jusqu’au grenier ou au garage en attendant l’année prochaine.

Vous l’aurez peut-être compris, l’auteur qui opère ainsi sort en gros un livre chaque année, toujours plus ou moins la même histoire avec quelques personnages récurrents et des seconds rôles qui viennent et disparaissent au fil des années. L’intrigue est simple et repose sur une demi-page de papier. Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu et je suis revenu. Ils ont les petites astuces et intrigues toutes prêtes à resservir d’année en année et ne se privent pas d’en user à chaque fois. Leurs lecteurs sont des gens comme eux, des gens qui aiment bien se retrouver en terrain familièrement dépaysant chaque fois qu’ils en ont l’occasion. Cela n’entache en rien la qualité de l’œuvre, certains écrivains populaires ont fait cela toute leur carrière. Vargas, Simenon, entre autres. La force du style n'a pas grand-chose à voir avec la manière particulière de développer l'histoire.

2. Les accumulateurs

Les accumulateurs sont les gens qui veulent maximiser leurs vacances et accumuler le maximum d’expériences en un minimum de temps. Pour cela, une seule solution : planifier à l’avance et dans les moindres détails tous les périples de leur itinéraire. Ils sont capables, grâce à leur sens aigu du planning, de visiter tout un pays en quelques jours. Bien évidemment, il leur faudra cibler uniquement les hauts-lieux et ils n’auront pas le temps de s’égarer dans les chemins de traverse. La prochaine découverte les attend déjà, réservée six mois à l’avance et le bus, train ou avion part dans deux heures. Les accumulateurs choisiront une destination différente à chaque voyage afin de ne pas avoir à retourner deux fois au même endroit, faisant ainsi de leurs vacances l’œuvre de toute une vie. Et s’ils n’ont pas le temps ou l’énergie d’organiser cela par eux-mêmes, ils passeront la main à une agence de voyages qui fera tout ce travail à leur place.

Si vous êtes ainsi, vos romans seront tracés au cordeau, du début à la fin, avant même de vous lancer dans l’aventure. Hors de question pour vous de vous embarquer dans quoi que ce soit avant d’avoir l’itinéraire, les réservations, les étapes et le tempo de l’histoire entièrement planifiés dans votre carnet de voyage. Je ne saurais dire quel genre d’histoires en découlera. Ken Follet, peut-être. Le rythme sera sans doute assez rapide et les événements se succéderont sans laisser au lecteur le temps de respirer ni d’admirer le paysage trop longtemps. Très certainement, le roman sera écrit rapidement, sans temps morts, le gros du travail ayant été fait en amont pour préparer le terrain. 

3. Les aventuriers

La dernière catégorie, enfin, est celle des aventuriers. Pour eux, il n’y a pas de destination précise au départ, pas d’étapes planifiées, pas d’horaire à respecter. Ils ont une vague idée de l’endroit qu’ils veulent découvrir : l’Europe du Nord, l’Amérique latine, l’Asie, la France profonde, etc. Un vague repère géographique, avec un point de départ. Ils sont équipés légèrement afin de pouvoir se déplacer librement mais ont assemblé au fil des années un équipement de base qui leur permet de faire face à toutes sortes d’éventualités. Pluie, froid, soleil, nuit à la belle étoile, etc. Ils n’ont aucune idée précise de leur parcours, ils le découvrent au hasard du chemin, des rencontres, des gens du coin qui leur donnent une adresse ou un tuyau. Ils peuvent tout aussi bien partir pour un road trip aux États-Unis et se retrouver à naviguer le lac Titicaca au cœur de la cordillère des Andes. 

S’ils ont un point de repère central, un vieux monastère découvert au hasard qui tient une petite hôtellerie, ils rayonneront dans toutes les directions à partir de là pour découvrir des endroits dont personne ne soupçonne l’existence. Ils ramasseront les choses et les idées au fur et à mesure de leur périple, et leur voyage prendra divers détours dont ils seront les premiers surpris. Certains se perdront peut-être en route ou seront la victime d’accidents fâcheux (ça arrive également aux autres types de voyageurs) mais dans la majorité des cas ils arriveront quelque part, au bout de leur périple. Et pratiquement jamais là où ils l’avaient prévu, si tant est qu’ils prévoient quelque chose. 

Appliqué à l’écriture, ça donne des histoires qui démarrent parfois doucement et qui partent tout à coup dans les directions les plus étranges. Stephen King est l’un des maîtres dans le genre mais beaucoup d’auteurs opèrent ainsi. Haruki Murakami, par exemple. Ils suivent l’histoire et ses personnages où ils les emmènent, détricotent l’écheveau sans jamais vraiment savoir ce qui est à l’autre bout. Une vague idée, une image suffisent à mettre leur machine à créer en marche et l’histoire se dénoue ainsi en suivant les chemins les plus inattendus.

Voilà. Vous vous reconnaîtrez peut-être dans l’un de ces trois tableaux. Si c’est le cas, vous aurez là la réponse à pourquoi vous écrivez comme vous écrivez, pourquoi vous pouvez parfois vous égarer et comment retrouver votre route.

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